Dernier jour du mois pour vous souhaiter à tous et à toutes une ___________ année 2021. Je vous laisse compléter par l’adjectif qui vous semble approprié en ces circonstances particulières.
Les formalités de bienséance sociale étant accomplies, allons dans le vif du sujet : le sens de nos vies.
Depuis quelques jours, j’ai ma crève hivernale annuelle. Chaque année à la même période j’ai une crève à vous clouer un mammouth au lit. Je prends ça comme une cure de repos imposée par la vie. Et c’est aussi un très bon prétexte pour rattraper toutes les séries inutilement indispensables à regarder sur Netflix.
Hier, j’ai jeté mon dévolu sur La Chronique des Bridgerton. J’avais lu que c’était à mi-chemin entre les romans de Jane Austin et Downton Abbey. On en est loin mais ça se laisse regarder.
Si cette série a un mérite, c’est de nous montrer combien, « avant », la vie était simple.
Tout était à sa place, précisément défini par un ordre social implacable. Les femmes (de bonne société, les autres on ne sait pas trop) étaient préparées à faire de bonnes épouses-mères. Leurs familles payaient pour cela (la fameuse dot). Les hommes, eux, devaient tirer droit au but pour que leurs fertiles épouses leur donnent au moins un héritier, qui sera lui aussi capable de tirer droit au but le jour venu. Pour perpétuer la lignée.
Crystal clear.
Le rôle de chacun était bien posé. Nulle question à se poser sur le sens de la vie, ce sens était livré, emballé et pesé, dès le berceau. Il n’y avait qu’à suivre la trajectoire pour laquelle on était né.
Aujourd’hui, c’est un peu plus compliqué.
Les individus ont arraché de hautes luttes le droit à disposer d’eux-mêmes et de leurs vies – de leurs destinées même. Leurs vies doivent être choisies, construites, elles doivent avoir un sens au regard de ce qu’ils sont, de leurs valeurs, de leurs aspirations.
Et il y a une épreuve de feu qui sonne le triomphe ou glas de nos espérences : le taf.
Nos vies sont depuis un moment déjà devenues work centric. Mais avec le télétravail généralisé et la fermeture des lieux non-essentiels (lieu de culture et de pratique du sport pour les principaux), ce n’est plus de la centricité, c’est une gangrène généralisée.
Les gens sont taf, pensent taf, font taf, mangent taf, dorment taf, espèrent taf.
Normal alors que beaucoup se posent – plus que de coutume – la question du sens de leur travail et de la satisfaction qu’ils tirent à l’exercer.
D’après le Baromoètre T4 sur l’état psychologique, les risques psychosociaux & le burn out des salariés français publié par Emprunte Humaine et OpinionWay en novembre 2020, le travail est moins plaisant qu’avant pour 42% des salariés interrogés et 35% des salariés estiment que leur travail n’a plus de sens.
Mercredi dernier, je posais cette question aux participants de l’atelier que j’avais organisé pour présenter mon programme « Bilan & Perspectives », un protocole de Bilan de Compétences que j’ai conçu en mettant la question du sens au centre justement.
A mon sens - sans jeu de mot - il faut explorer cette question sous 3 dimensions :
Sens rétrospectif : qu’ai-je fais jusqu’ici et pourquoi l’ai-je fais.
Sens prospectif : qu’ai-je envie de faire demain et pourquoi ai-je envie de le faire.
Sans oublier le sens actuel : en quoi et pourquoi suis-je satisfait et insatisfait de mon travail et où ai-je mal précisément à mon travail.
La convergence des réponses dessine souvent les contours d’une histoire personnelle et professionnelle, bien plus cohérente qu’il n’y paraît, et permet de poser les jalons d’un nouveau chapitre avec plus de sérénité, en ayant gagné en lucidité. Sur soi, ses valeurs, ses moteurs, ses freins.
Pour cet atelier, j’avais préparé un petit support PPT et j’ai longtemps hésité à garder cette slide.
Outre le fait que la référence à Auschwitz pouvait être déplacée, je me suis dit que je risquais de perdre mon auditoire si je me mettais à leur parler de Viktor Frankl et de sa théorie de l’analyse existentielle.
Pourtant s’il y a bien quelqu’un qui peut nous éclairer sur notre soif de sens, c’est bien Frankl, psychiatre, neurologue et psychothérapeute existentiel, qui dès les années 20 (du 20e siècle) constate que ses patients souffrent de ce qu’il appelle un « vide existentiel ».
Alors que la psychanalyse bat son plein, Frankl ne conteste pas les théories de Freud selon qui les névroses et les souffrances psychologiques naissent de la frustration des pulsions sexuelles. Pas plus qu’il ne conteste les théories de Adler qui pense que la volonté de puissance est la cause sous-jacente à nos malheurs, l’homme souffrant avant tout de complexes d’infériorité et d’une soif de domination.
Fair well, répond Frankl. Mais cela n’est pas suffisant. On ne remonte pas assez à la racine du mal-être humain qui peut dévier en névrose, si on s’en tient à cela.
Il y a quelque chose de plus profondément spirituel qui cherche désespérément à se faire entendre et à advenir au monde.
C’est ce qu’il appelle la volonté de sens.
Pas un sens à la Chronique des Bridgerton, à savoir un sens livré clé en main comme on achète un costume prêt à l’emploi.
Non.
Un sens dont l’individu est pleinement responsable, car c’est lui qui choisit de donner tel ou tel sens à ce qu’il vit. Dans l’esprit du stoïcisme des Grecs anciens, l’individu est responsable de la manière avec laquelle il perçoit la situation et lui donne un sens. C’est en cela que se manifeste sa liberté et, d’une certaine manière, son pouvoir sur sa vie.
Même quand la situation n’a plus aucun sens. Même au cœur de l’absurde. Même au cœur de l’horreur.
C’est là qu’on en vient à Auschwitz. Après avoir passé déjà 2 années dans les camps nazis, Frankl y fut déporté en 1944 et y restera jusque la libération par les Américains en 1945. Pendant son séjour en camps, Frankl observe les prisonniers dans leur manière de faire face à la situation (ce qui nourri sa théorie) autant qu’il essaie de les aider en utilisant sa méthode alors en développement : la logothérapie.
Inspirée de la maïeutique socratique, cette thérapie est fondée sur l’identification des valeurs qui animent et guident les actions d’un individu et lui permettent de se réaliser au mieux des possibilités liée à sa situation actuelle.
Dans un contexte où un futur est permis, cet inventaire des valeurs permet aussi de définir un but qui fasse sens et soit ainsi moteur de la transformation et l'évolution des individus.
Quel sens peut-on trouver à la vie quand on s’épuise dans un camp de la mort dont on sait qu’on n’échappera pas vivant ?
J’avais listé quelques exemples livrés par Frankl dans Découvrir un sens à sa vie avec la logothérapie, mais je préfère vous inviter à réfléchir à la question par vous-même, les réponses seront sans doute bien plus riches d'enseignement sur votre manière de voir le monde et de donner du sens aux choses.
Certes, la période que nous vivons n'a rien à voir avec l’enfer des camps.
Mais s’il n’est pas question de chercher à comparer ces 2 situations, elles ont tout de même en commun de poser la question du sens.
Et il n'est pas forcément celui qu'on croit.
Le sens avec un « s » minuscule.
C’est l’un des principaux enseignements que je retiens de Frankl.
Définir le sens de sa vie ne veut pas dire rechercher à servir une grande cause, ni se fixer des orientations universelles, ni renverser la table pour tout révolutionner dans sa “petite” vie.
Il faut au contraire traquer le micro-sens, le sens dans le détail, le sens dans le quotidien.
Si nous voulons trouver et donner du sens à nos vies, y compris au coeur de l’absurde actuel, il faut commencer par regarder en soi.
Posons-nous la question de ce qui nous motive à nous lever le matin et nous laisse satisfaits de notre journée au moment de nous coucher : ce sont de premiers bons indices pour commencer à regarder avec lucidité ce qui fait sens pour nous et donne sens à notre vie.
Notamment au travail, puisqu'on nous impose qu'il soit encore plus central dans nos vies que d'habitude.
Spolier alert : le sens de la vie est évolutif et fluctuant, comme la vie elle-même.
Sens un jour ne veut pas dire sens toujours…
Ne faites pas l’erreur de croire que votre vie n'a plus de sens ou qu’elle a perdu son sens car vous n’êtes plus alignés avec ce qui avait du sens pour vous avant ou qui en aurait dans d'autres circonstances.
La vie ne manque jamais de sens, mais nous manquons souvent de temps, de recul et de bienveillance avec nous-mêmes pour nous autoriser à renouer avec ce qui nous fait aller de l’avant.
Sur ces bonnes paroles, je vous laisse méditer celles du brave Nietzsche :
“Celui qui a un pourquoi qui lui tient lieu de but, de finalité, peut vivre avec n’importe quel comment”.
Bonne semaine les ami(e)s !
Bravo de votre démarche pleine de 'bon sens' ;-)
Pour '(re)découvrir le sens des choses, la meilleure question n'st pas "Pourquoi ?" (à laquelle la plupart répondent "parce que ..." = la cause) mais "Pour Quoi ?" ou "Pour faire quoi ?" ou "à quoi ça sert ?" (celle que je préfère) ou mieux "Pour Qui ?" ... Ces questions-là mènent au but, au sens, à la finalité ... à 'petit' ou 'grand niveau', le 'petit' niveau de sens trouvant son épanouissement dans le 'grand' : Pour Quoi je me lève ? Pour gagner ma croûte. Pour qui gagner ma croute ? Moi et les miens, voire les autres. Pour ceux à qui bénéficie mon ouvrage. Etc.
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Olaf de Hemmer - Value(s) Designer