Pourquoi je déteste porter un masque #cestlarentrée
J'ai beaucoup de mal avec le port du masque. Puisqu'il devient l'incontournable accessoire de la rentrée, je dois regarder mon malaise droit dans les yeux et plonger à la racine de ce qui me fait mal.
Qu’on se le dise, si je le pouvais, je lancerais sans doute le Front de Libération des Mentons sous le Masque. Mais comme je suis plus grande gueule que téméraire, je m’en tiendrai à assumer l’idée sans chercher plus loin les problèmes.
Mettre un masque (ou rien que d’y penser) me file des boutons, façon de parler. J’y ai mis du mien pourtant : masque wax, masque fleuri, masque papier, rien n’y fait, mon âme toute entière suffoque derrière ce bout de tissu obligatoire.
Vu que the masque is the hot topic of the rentrée 2020 in France, et vues les sueurs froides qu’il me provoque, en voilà un bien bon thème pour la reprise de la Gazette.
Objectif : comprendre pourquoi le masque m’agresse autant émotionnellement, psychologiquement et symboliquement.
Vaste programme. Bas les masques, c’est parti mon kiki.

Commençons par le commencement, avec copain Larousse qui nous dit d’abord que le masque est un « faux visage de carton peint, de tissu, etc., dont on se couvre la figure pour se déguiser ou dissimuler son identité : Masques de carnaval. » Ça commence bien. Le masque de base c’est pour jouer ou pour tricher. On comprend mieux le goût prononcé des gangsters pour le doux contact des bas en nylon ou de toute autre matière dissimulante sur leur visage.

Sans faire de mauvais esprit, je me demande très sérieusement si les braqueurs du Loomis à 9 millions d’euros portaient un masque et, si oui, était-il dans le thème covid du moment ? Si vous avez la réponse, je suis preneuse, Google étant muet sur le sujet. Ok, je m’égare.
Revenons à nos moutons et poursuivons notre quête de sens avec une seconde définition recensée par Larousse, car le masque est polysémique. Cette définition renvoie à une « forme stylisée du visage ou du corps humain ou animal, ayant une fonction rituelle. » Comme les masques de sorciers indiens ou africains ?

Mais, qui dit rite dit symbole. Allons voir si le masque en est un, et si oui, de quoi il est potentiellement l’emblème.
Direction le Dico des symboles qui consacre pas moins de 4 pages à l’item masque ! On ne sera pas venu pour rien. Notons que le simple fait que le masque soit un « symbole » est en soi une sacrée information. Symbole, mais de quoi ?
Visiblement, le symbolisme du masque varie selon ses usages, allant du masque de théâtre, au masque carnavalesque, en passant par le masque funéraire qui remonte à l’Égypte antique.
Côté carnaval, le masque a une fonction cathartique. Il permettrait l’extériorisation des tendances démoniaques et leur expulsion du même coup.

Le masque est alors libérateur, il chasse les démons et évacue les pulsions inférieures.
Dans ce que certains ne se privent pas de taxer de vaste mascarade médiatico-politique, le masque anticovid aurait donc pour fonction symbolique de canaliser des pulsions négatives et de nous libérer. De quoi ? Peut-être de notre peur de la contagion, de la maladie et de la mort. Cela se tient.
La symbolique des danses masquées chez les Iroquois est assez éloquente à cet égard.

Elles auraient eu des fonctions curatives avant tout, servant à prévenir et à guérir les maladies physiques et psychiques. Exécutées au printemps et à l’automne, ces danses sont censées chasser les maladies des villages et trouvent leur origine dans les rites de chasse. Plus précisément dans la croyance que les animaux envoient les maladies pour se venger des chasseurs.
Toute ressemblance avec une chauve-souris ou un pangolin mystiquement investis de la mission de contaminer l’humanité pour la punir de ses exactions à l’égard de son environnement est purement fortuite.
Du côté des traditions africaines, où l’on retrouve cette dimension cathartique mais aussi une célébration des origines et de l’ordre du monde, les masques sont aussi investis d’une puissance magique.
D’un côté ils protègent leurs porteurs contre les malfaiteurs et sorciers, un peu comme une main de Fatma protège du mauvais œil. De l’autre, ils sont l’instrument des membres de sociétés secrètes leur permettant d'imposer leur volonté en effrayant.
Voilà qui devrait plaire aux adeptes des théories conspirationnistes.
Si on ajoute à cela le fait que le masque peut également être considéré comme un instrument de possession, “destiné à capter la force vitale d’un être humain ou d’un animal au moment de sa mort”, la boucle de l’asservissement via le masque peut sembler belle et bien bouclée.
Du côté de la tradition gréco-romaine, le masque rejoint des fonctions assez similaires mais c’est sur le registre du masque de théâtre que nous en sommes encore les plus dignes héritiers en Occident.

C’est de là que vient le très en vogue terme de persona, si utile de nos jours pour encapsuler un idéal-type de client ou utilisateur.
Persona pour désigner avant tout le masque de l’acteur et qui vient du verbe latin per-sonare, « parler à travers ». Au théâtre, le masque symbolise l’identification, entre l’acteur et son personnage, au risque de la confusion des personnalités. A force de porter le masque, il devient impossible ou du moins très difficile de le retirer.
La psychanalyse junguienne ne nous apprend rien d’autre quand elle postule que chaque individu arbore un persona, un masque, celui de la personnalité, indispensable pour permettre à chacun de s’adapter aux normes sociales. Une sorte de médiation, d’interface nécessaire entre soi-même et le monde.
Au risque de ne plus avoir conscience de porter un masque. Au risque de s’être identifié à cette personnalité au point de nous limiter à une version figée de nous-mêmes, par peur de perdre ceux qui nous aiment « tels que nous sommes » ou par fidélité à ce personnage que nous croyons véritablement être.

Ce qui est intéressant avec ce masque, c’est qu’il est protecteur à la base, puisqu’il est indispensable pour nous construire dans les premières années de notre vie. Mais comme une mère protectrice un peu trop zélée, il finit par nous limiter, nous enfermer, et même étouffer qui nous sommes vraiment, jusqu’à paralyser tout élan.
Le masque anticovid est un peu junguien finalement et comme le persona de Jung, peut-être est-ce juste une affaire de dosage : savoir utiliser le masque à bon escient pour nous protéger mais en restant conscient et lucide de cette fonction et en veillant à limiter l’emprise du masque pour qu’il n’asphyxie pas nos désirs d’être, qu’il n’entrave pas notre liberté de faire, qu’il ne fasse pas de nous de faux vivants.
Pour l’heure, il ne m’inspire pas bien ce persona, que l’on m’impose et que je n’accepte de porter qu’avec aigreur. Sans doute parce qu’il est l’emblème de « l’humain trop humain » qui croit ainsi défier la maladie et derrière elle la mort et qui croit tromper la peur et rassurer les cœurs.
Résolument acquise à la conscience de ma finitude et de mon inesquivable mort, je m’en tirais jusqu’à présent avec la parade d’un arrogant « même pas peur ».

Aujourd’hui la loi m’interdit l’insouciance et le déni, qui deviennent synonymes d'imprudence, si ce n’est pour me protéger moi, au moins pour protéger les autres me dit-on. Sait-on jamais, je suis peut-être porteuse de maladie et de mort malgré moi.
Certes, mais ne le suis-je pas comme tout un chacun depuis que j’ai vu jour sur terre ? Ce qui change, c’est que jusqu’à présent, on ne me le rappelait simplement pas à chacun de mes pas.
Aujourd’hui chaque masque que je croise ou que je porte me répète sournoisement encore et encore : n’oublie pas que tu vas mourir.

Comment voulez-vous apprécier vraiment la vie dans de pareilles conditions ?
En portant un masque. On te l’a déjà dit, celui que la 3ème définition du Larousse décrit comme cet « objet dont on se couvre le visage ou une partie du visage pour se protéger : Mettre un masque de gaze pour éviter la contagion. ».
Bon ben, hauts les masques, alors 😔

Chouette article. merci
Merci pour cette reflexion et ce bel article ! Je pensais en vous lisant que la metaphore pourrait s' etendre au chapeau. Et vous quel chapeau portez-vous aujourd hui ?